jeudi, juin 02, 2005

trois chiens (une histoire)


L'ogre s'est enfin assi et il a dit:


"J’ai vécu pendant 4 ans en couple. Un couple des plus ordinaire avec son immensité d’amour et biensûr, une ou deux escapades car à l’époque j’étais très jeune, car à l’époque nous habitions à 8OO kilomètres l’un de l’autre. Nous étions deux, cela fonctionnait plutôt bien et je ne me posais pas de questions sur le couple. Je le vivais. Un jour, suite à sa séropositivité, mon ami est parti. Cela à laisser dans ma vie un énorme vide. Depuis, je vis seul. Cela fait 5 ans. J’ai vite compris que le couple n’était pas une structure adéquate pour moi. Sans rejeter ce que j’avais vécu, les années passant, je me suis rendu compte de tout ce que le couple m’avait fait rater. J’ai fait quelques tentatives de petites histoires amoureuses qui ont vite échouées. Elles ont échouées car je ne voulais plus faire de concessions, car je connaissais mes faiblesses. Maintenant, je crois que j’ai besoin d’être seul pour me réaliser, pour mener à bien mes passions et mon travail. J’ai pensé, un temps, qu’une vie « en couple mais chacun chez soi » pouvait me convenir mais c’est un équilibre que je n’ai jamais trouvé car très vite, c’est plus chez l’un que chez l’autre et j’ai toujours eu l’impression que l’autre faisait tout pour m’attacher à lui.

Même si je suis étonné et enchanté par les couples que je rencontre, je leur trouve toujours des tares et des monstruosités.

En décembre 2004, je rencontre Thierry et c’est un terrible coup de foudre : physiquement et intellectuellement je n’avais jamais connu ça. C’était d’autant plus l’extase que ce Thierry est en couple et qu’il semble beaucoup aimer l’homme avec qui il vit. Pour moi, c’était une situation idéale, car cela me protégeait d’une attaque massive de sentiments et cela me permettait aussi de ne pas être là à 100%, de pouvoir mener ma petite vie de mon côté. L’ami de Thierry est au courant, ils ont chacun un appartement, et tout le monde avait l’air content du rôle qui lui était attribué. Je passai mes deux premières semaines avec Thierry dans l’euphorie. Il me proposa de rester chez lui un week-end. Il ne voulait pas que me sauve comme un voleur après l’amour. J’ai paniqué mais au lieu de refuser ou d’accepter, je l’ai emmené pour un jour et demie d’escapade. Pendant cette parenthèse, il me dit vouloir quitter Eric. Moi, je n’étais pas d’accord mais je savais que ce n’était que des mots. Pendant ce temps, Eric se sentait totalement exclu. A notre retour, il a eu une grande discussion avec Thierry et est venu me voir sur mon lieu de travail. Eric est extrêmement séduisant et il a l’air de quelqu’un de solide. Je me rappelle avoir couché avec lui, il y a très longtemps, et que cela n’avait franchement pas été le pied. De son côté, il n’a qu’un vague souvenir de cette rencontre. Nous avons parlé pendant plus de deux heures et je me souviens d’avoir été cloué par son regard. J’étais persuadé que si je me décrochais de ses yeux, la magie n’opérerait plus. Nous étions content de sortir du schéma petit bourgeois « moi, mon mec et son amant mystère ». Nous étions content de nous rencontrer car Thierry parlait beaucoup de l’un à l’autre.

Nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre. Avons fait l’amour parce que nous y étions obligés, parce que nous le voulions vraiment ou simplement par jeu ? L’amour avec lui était différent d’avec Thierry. C était plus calme, il me semble qu’avec lui je n’avais rien à prouver. En effet, autant ce qui m’uni à Thierry c’est la complémentarité autant avec Eric j’avais l’impression d’être devant un double de moi. Un double d’autant plus séduisant qu’il donnait l’air d’être sûr de lui. Il me fallait continuellement séduire Thierry alors qu’il me semblait que Eric était un vieil ami.


Durant les semaines qui suivirent, la situation était, pour moi, très excitante. Elle l’était beaucoup moins pour les deux autres car ils avaient leurs « fantômes » de couple à gérer. Ils traversaient tous les deux des périodes de crises : Thierry, entre deux chaises, ne voulait pas faire souffrir Eric et ce dernier, croyait sentir Thierry s’éloigner de lui et se posait des questions sur les sentiments qu’il éprouvait pour moi.

Cela n’empêchait pas des moments d’intense bonheur. Des ballades en plein milieu de l’hiver. Ces escapades étaient de longs moments où, je crois, chacun se sentait terriblement lié aux deux autres. D’ailleurs, j’essayais toujours de les voir dans des situations exceptionnelles. Je ne voulais pas être associé à un quelconque quotidien. Même quand je les voyais séparément, je tenais à ce que cela reste un peu étrange ou un peu furtif.

Du coté physique, l’amour à trois est vraiment quelque chose de complexe. J’ai beaucoup aimé la première fois car elle était remplie de maladresse et de gênes. Puis, nous avons vite arrêté car les autres fois ne furent pas concluantes. Accepter quelqu’un dans les ébats de son couple doit être extrêmement difficile. Je finissais toujours par faire mal à Eric et, les fois où je restais dormir, Thierry terminait sa nuit sur le canapé. Il me disait tout le temps que c’était parce qu’il n’existait pas de lit à trois places. Je ne l’ai jamais cru. Ce que j’aimais dans l’amour que nous faisions ensemble c’est qu’un des trois pouvait toujours prendre du recul et observer. Il y avait un côté « imagerie médicale » ou documentaire animalier qui me plaisait. Chacun d’entre nous pouvait alors cartographier l’orgasme des deux autres.

Cette situation était difficilement vivable pour Eric au niveau social. Il avait peur de rencontrer des connaissances, il avait horreur de la manière don je les embrassais à pleine bouche dans la rue. Le seul moment qui trouva grâce à ses yeux est un vernissage d’expo ou nous avions senti que notre « trouple », tout en étant extrêmement, discret provoqua un étonnement, ou plutôt un questionement certain.

Moi qui croyais pouvoir garder mon intimité, je me suis vite aperçu qu’une relation à trois prenait beaucoup plus de temps qu’une histoire ordinaire :
« Je vois qui aujourd’hui ? »
« Et demain ? »
« L’autre doit se sentir un peu délaissé… »
Entre nous trois tout allait finir par ressembler à de la comptabilité.


Par expérience, je sais que le couple nécessite de nombreuses mises au point et une multitude de recadrage mais je n’aurais jamais imaginé que notre histoire à trois génère autant de tensions : nos mises à plat avaient lieu plusieurs fois par jour.

J’avais aussi pas mal de difficultés à entrer dans le couple car ils se connaissaient depuis longtemps et qu’ils n’avaient pas la même manière de fonctionner que moi. Nous étions même diamétralement et caricaturalement opposés : pour eux le moteur du couple était la colère et la dispute tandis que je faisais tout pour éviter l’affrontement. Je voulais une relation légère et sans prise de tête. Ils s’étaient aussi beaucoup construits de manière intellectuelle.

Eric vivait tout ceci assez mal. Il a arrêté d’ailleurs assez vite nos virées à trois. Il préférait rester seul et nous voir beaucoup moins. Avec le recul, je crois que Eric avait compris que Thierry lui serait toujours acquis et qu’il n’avait qu’à attendre. Eric savait que je me retirerai du jeu quand mon histoire avec Thierry deviendrait sérieuse. Celui qui avait le plus à perdre c’était Thierry car, de toute évidence, c’est un homme qui a peur d’être seul. Suite à une incompréhension, ma relation avec Eric s’est rapidement détériorée et plus les jours passaient, plus je tombais éperdument amoureux de Thierry. Il dut le sentir car une pluie de cadeaux m’est tombée dessus, dont une bague. (J’ai eu deux moments de pur effroi avec Thierry : la fois où j’ai trouvé une brosse à dent spécialement pour moi dans sa salle de bain et cette fameuse bague…)

Etrangement, pour Thierry, cette bague n’avait rien de symbolique. Peut-être était-elle symbolique pour moi, parce que mon amour pour cet homme était plus grand chaque jour.
Il m’arrivait parfois de me demander où étaient mes résolutions du mois de décembre. La première fois où j’ai rencontré Eric je lui avais dit « le jour où tu voudras que je parte, tu n’auras qu’à le dire et je partirai. » En avais-je encore la force maintenant que mon petit jeu se refermait sur moi ? Je m’accrochais à Thierry et la communication était presque rompue avec Eric. Pourtant, c’est de ce même Eric que je rêvais parfois la nuit.


Les crises à répétition commencèrent à me lasser et nous voulions que la situation change. A partir d’ici les souvenirs sont assez flou et j’ai beaucoup de mal a retrouver l’ordre chronologique. A un moment chacun, dans un immense ras-le –bol, voulait quitter les deux autres. Nous avons passé deux jours et surtout deux nuits à s’appeler, à se raccrocher au nez, à traverser la ville pour se rentre chez l’un et claquer la porte chez l’autre. Je n’ai jamais vécu se genre de crise lorsque j’étais en couple classique. Ces tensions m’ont totalement vidé. Rarement j’ai été aussi fatigué que pendant ces moments là. C’était rebondissements sur rebondissements. J’ai eu l’impression que c’était un jeu que Thierry et Eric aimaient bien ou du moins maîtrisaient parfaitement.

Eric et Thierry se sont « officiellement »séparés.

Quelques heures plus tard, je quittais Thierry dans un café. J’étais sûr de ma décision même si j’ai eu l’impression d’en mourir. Je le quittais parce que j’avais peur de cette vie de couple qui s’offrait à nous, j’avais peur aussi que Eric ne soit pas qu’une ombre, qu’il revienne me prendre Thierry. Pendant ces trois mois, j’avais appris à connaître cette force qui les unissait. J’ai tout de suite eu le sentiment que Thierry ne croyait pas a ce dénouement. Je crois avoir compris que ce couple était tellement habitué aux engueulades que celle-ci en était seulement une de plus. Sur les trois je croit être le seul a avoir tout pris en pleine gueule.

Je me suis senti abattu pendant de nombreux jours. Thierry essayait de rentrer en contact avec moi par mail mais je les effaçais sans les lire. Un jour, j’ai ouvert un des mails pour apprendre qu’ils s’étaient « retrouvés », il me disait aussi que toute cette histoire avait été une vrai menace et que le silence qui avait fait ma force allait à présent faire ma sottise car tout était si loin derrière que nous pourrions peut-être nous voir sagement comme des amis… Je n’avais jamais voulu être une menace. Ce mail me brûla car j’aime encore Thierry d’un amour fou, mais il me réconforta dans l’idée que je me faisais d’eux : tyranniques et soudés. Jamais Thierry ne serait sorti de la vie de Eric. Même si ils me disaient le contraire, j’ai du mal à ne pas croire maintenant, que je n’étais pas un dessert, un antipasti , un caprice dans leur couple.

A l’heure où j’écris ses lignes, je ne crois plus à une histoire à trois. J’avais entendu parler d’un « trouple », pas très loin d’ici, à Aigues-Mortes, qui fonctionnait depuis des années mais ça doit être une exception. Je sais que j’ai aimé ces deux hommes. Peut-être pas de la même manière, peut-être pas au même moment. Cette histoire n’a sans doute pas marchée car un couple existait au début et que nous avions des façons de vivre totalement différentes. Je regrette sincèrement que cette expérience n’ait pas marché car je la trouvais vraiment belle. De plus, dans les moments de bonheur, dans les moments d’extase, être trois donne une force, une unité, et une assurance que je n’ai jamais connues à deux."

L'ogre repartit dans la forêt avant la pluie.

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