mardi, novembre 22, 2005

Au commencement

Le gâteau de miel est sur la table blanche. Il y a beaucoup de vas et viens dans la maison mais personne n’ose y toucher.
Même moi, avec la gourmandise de mes cinq ans, je me tiens à une distance respectueuse, de cette merveille sucrée.
Le gâteau de miel est luisant, il attrape la lumière rousse de l’automne derrière la fenêtre.


Je me suis écrasé contre le mur opposé, loin de la table, pour que personne ne puisse m’accuser si il arrivait malheur à la chose.

Le gâteau est en fait un empilement de fines gaufrettes dorées au four recouvertes d’un miel sombre.
Le petit garçon que je suis glisse le long du mur et attrape une chaise pour atteindre le placard où sont rangés les trois ou quatre énormes pots de miel achetés au marché du village.


Je soulève un à un les couvercles, compare les odeurs, hésite sur les couleurs pour finalement choisir le plus noir et le moins liquide, celui là même qui recouvre les gaufrettes. J’enfonce un doigt dans la pâte et le plonge ensuite au fond de ma bouche. Je referme la mâchoire et retire lentement mon doigt tandis que le miel reste bloqué sur ma langue et contre mes dents.
Le miel est très sucré, c’est écoeurant et bien sur terriblement bon.


Je referme vite les pots et le placard. Je range le tabouret et me laisse tomber au sol comme sonné après un combat entre titans.
Je suis k.o mais jamais je ne rouvrirai la bouche de peur de me retrouver vide, dégonflé ou éventré ; de peur d’être une prison ouverte qui laisse échappée milles merveilles.
J’ai dans la bouche le sapin, le buplèvre, l’arbouse et toutes les fleurs de la montagne.

A cinq ans j’ai avalé les Pyrénées. Après les avoir longtemps senti sous mes pieds et au dessus de moi, elles étaient maintenant dans mon ventre.
Il avait suffit d’ouvrir la bouche.
J’étais devenu d’un coup maître de la montagne et je devinais déjà que, plus tard, je deviendrai Ogre.

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