vendredi, octobre 28, 2005

oktobre

Le weekend dernier l’ogre est allé au théâtre.
Cela n’a pas été très agréable car il avait coincé les deux spectacles comme des rendez-vous chez le dentiste dans un emploi du temps déjà chargé.

Depuis quelques années déjà le centre dramatique national de la région organise un festival intitulé « Oktobre des écritures contemporaines ». C’est un moment que l’ogre attends avec impatience car il propose une petite dizaine de pièces qui auraient beaucoup de mal a exister ailleurs.
L’Ogre reproche assez souvent au CDN sa programmation assez classique et ses spectacles « qui tournent en réseau dans tout les CDN de France » pour être content quand arrive Oktobre et son festival.
Oktobre des écritures contemporaines proposent des spectacles qui ne laissent jamais indifférents comme c’est souvent le cas avec tout ce qui est contemporain.

Ils énervent parfois car ils sont à la limite de l’abstrait ou de la masturbation élitiste chèrement subventionnée.
Il arrive aussi d’être agréablement surpris et d’être touché de partout (même au cœur).


Ce que j’ai vu et appris au goulag (exercice de mémoire) est une création d’après une série d’entretiens avec Jacques Rossi qui était (il est mort en 2003) un petit agent secret soviétique qui s’est retrouvé au goulag pendant plus de vingt ans suite aux grandes purges de Staline.
Le spectacle d’écrit un univers proche de celui de Kafka ou personne ne sait exactement pourquoi il fait les choses ni qui est exactement son supérieur hiérarchique. La paranoïa et la bassesse sont les deux mots clefs de la machinerie soviétique.

Le spectacle porte assez mal son nom car il est plus question de sa vie d’agent secret, de l’organisation du parti et de son arrestation plus que de la vie quotidienne au goulag (vie de monotonie et de douleur vous en conviendrez…)

L’utopie est un élément nécessaire à la survie de l’homme. Il s’y accroche même quand elle devient cauchemar et barbarie. Longtemps après son arrestation
Jacques Rossi ne voulait pas croire qu’au nom du communisme ou pouvait torturer et tuer.
Il a longtemps cru que son arrivée dans les camps de travail était une erreur de l’administration.

L’enveloppe du spectacle est assez étrange :
accueilli par un homme et une femme le spectateur enfile une blouse blanche. Il est ensuite conduit dans une salle entièrement blanche ou une hôtesse (tailleur strict, talons hauts, cheveux tirés en arrière) l’invite à s’asseoir derrière une table ou est posé un casque audio.
Le public se fait face.

De l’extérieur cela doit ressembler à une assemblée de chercheurs. Après une courte vérification de la bonne marche des casques audio un homme en noir (Jacques Rossi joué par Samuel Carneiro) commence à raconter sa vie.
Parfois la lumière aveuglante est tamisée pour qu’il puisse regarder des vidéos sur un grand écran ; le narrateur joue aussi avec l’hôtesse ( celle-ci est surtout la pour la technique et pour expliquer au spectateur les termes un peu obscures de l’histoire).


Je lis sur le programme que Judith Depaule ( mise en scène et conception) a écrit une thèse en art du spectacle à ParisIII et c’est peut-être ce coté universitaire qui a un peu dérangé l’ogre.

La structure du texte, le fait qu’il soit issu d’entretiens, donne au spectacle un ton pédagogique.
La mise en scène ultra sophistiquée est souvent à la limite du superflu et du « remplissage de vide » mais ne gâche pas le talent du comédien

(mais qui est ce Samuel Carneiro joli comme un cœur ? )


Le corps de l’ogre est un amas de bulles qui parfois éclatent et le rendent euphorique.
C’est ce qui est arrivé des les premières minutes de La femme comme champs de bataille. Une bulle éclate…


Quand l’orge était pitchoune il habitait en Roumanie.
C’était entre 1983 et 1985 pendant la dictature communiste et le contact avec les roumains était très compliqué puisque les étrangers étaient logés dans des bunkers.
La seule roumaine que l’ogre ait côtoyée régulièrement était Doina, la dame au chignon gris qui le gardait et qui faisait à manger.

La mère de l’ogre est formelle : c’est grâce à cette femme que son fils a appris le roumain. L’ogre ne s’en souvient pas. Il n’a pas l’impression d’avoir su parler le roumain un jour. A ce jour il ne connaît qu’un seul mot dans cette langue, celui qui désigne la poubelle.

L’ogre n’a plus entendu parlé roumain jusqu'à dimanche lorsqu’il est allé voir La femme comme champs de bataille de Matei Visniec et mis en scène par Mihaie Fusu.

Ce texte mélange le français et le roumain. Son état de fatigue n’arrangeant pas les choses l’ogre a faillit pleurer tellement il était ému quand les actrices ont commencée à parler cette langue latine perdue au fond des Balkans….l’oreille une fois stimulée déroule les souvenirs et l’ogre a eu tout le mal du monde à se concentrer sur la pièce.

La femme comme champ de bataille est la rencontre d’une psychanalyste américaine et d’une ex-yougoslave (l’ethnie n’est pas précisée) victime d’un viol.

L’élaboration de ce spectacle doit être un peu le même que celui de Ce que j’ai vu et appris au goulag car Matei Visniec est journaliste mais, dans ce cas, l’écriture est plus douce, plus « littéraire ». Ici le journalisme se met vraiment au service de l’histoire et de la folie ou nous entraîne les quatre comédiennes.

Que se soit dans les Balkans ou en Afrique le viol est considéré comme une arme dans les conflits interethniques. Le viol cesse d’être une pulsion sexuelle pour devenir une façon d’anéantir l’autre, un simple projet politique…. d’ailleurs en 1996 le tribunal pénal international de La Haye a inscrit le viol, en temps de guerre, dans la liste des crimes contre l’humanité.

Les quatre comédiennes ont bluffés l’ogre : elles maîtrisent les changements de rôles, le texte et la complexité du plateau avec une aisance déconcertante.

Ici aussi la technologie (un matériel vidéo important) aurait pu noyer les actrices mais il est utilisé de manière si intelligente et si ludique qu’il est presque un personnage a lui tout seul. Sur scène il y a trois grands écrans et trois petits « studio » vidéo ou les comédiennes se filment en direct.
Une des trois caméras est installée dans le lit d’hôpital et les images qu’elle produit sont à la fois terribles et très inventives. Grâce a ces jeux de miroir entre les langues, les actrices et les écrans il n’y a pas une minutes sans « petites trouvailles simples mais qui tuent » comme l’ogre les aime bien au théâtre.

La seule faiblesse du spectacle est due aux transitions pendant lesquelles les comédiennes courent sur place comme dans un mauvais spectacle d’atelier théâtre de collège.

L’ogre est sortit de là complètement déphasé (c’est dur d’aller au théâtre l’après-midi !) et en se disant à la fois « j’adore ! » et « pose ton stylo, jette tes idées tu ne feras pas mieux. ».

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