vendredi, avril 14, 2006

Tes cendres



Ca m’a pété d’un coup.
Il fallait absolument que j’aille voir l’endroit ou nous avons dispersé tes cendres.
En cinq ans je n’y suis jamais allé.

Je vais souvent à Perpignan.
Je traîne quelques fois vers l’Espagne, à la Jonquière ou au Boulou.
Je me perds dans mes Corbières et je déborde parfois dans le Capcir ou le Fenouillèdes mais jamais je ne suis revenu sur les pentes du Canigou.

Hier j’ai un peu trop traîné à Perpignan pour retarder le moment de nos retrouvailles.
En début d’après-midi je me suis enfin décidé à monter vers Prades.
Temps délicieux, la voiture qui semble glisser sur la voix rapide, lunette de soleil, printemps un peu à la traîne mais certains arbres ont des dômes de fleurs.

De quoi je me rappelle ?
Juste avant l’entrée de Prades quand on a Perpignan dans le cul il faut prendre en direction de Los Masos puis la route devient piste et on arrive enfin à la petite ruine ou nous avons dispersés tes cendres.
Cet endroit s’appelle le pic ou le col de l’aigle.

Rien de plus simple.


Je m’enfonce un peu dans la montagne mais je ne trouve pas. A chaque fois je crois reconnaître et l’instant d’après je suis perdu. Ce petit manége prends énormément de temps car je suivre les chemins jusqu’au bout, jusqu'à ce qu’ils s’arrêtent ou deviennent trop dangereux pour une voiture comme celle de l’ogre.




Plusieurs fois je déplie ma carte mais je ne trouve rien.
C’est une carte de randonnée mais elle est au 1 : 50 000

Je croise un homme.
Il n’a jamais entendu parlé du pic ou du roc de l’aigle.
Nous procédons par élimination…..

Orientation? Nord
Avec vue sur? Prades ou la retenue d’eau de Vinça… je ne sais plus.
C’est proche d’ici ou un peu plus enfoncé dans le massif?
Ça doit être plus profond dans le massif car le relief est plus aiguisé qu’ici.
De l’eau ou pas?
De l’eau au fond du ravin…. Du moins en hiver car j’y suis venu un 17 décembre.
Il y a une ruine ou un dolmen?
Pas de dolmen. Il y a une ruine mais sans importance.
Une église , une chapelle ?
Non. Juste un refuge ou une baraque de pastoret.

Non…. Je ne vois vraiment pas. Mais essayez la piste forestière du Canigou.
Je crois pas car le nom est trop familier. Je m’en serais souvenu.
Mais qu’est-ce qu’il y a là-haut ?
Rien. Juste les cendres de mon grand-père.
(putain l’ogre, pourquoi tu mens ? Tu ne peux pas dire tout simplement que c’est les cendres de ton mec….)


L’homme me regarde gentiment.
Je suis désolé je ne vois pas.

Il y a une piste qui me rappelle quelque chose mais, au bout d’un moment il faut laisser la voiture sur un parking et passer sous une barrière pour continuer le chemin.
L’endroit me dit quelque chose…. Mais une montagne est une montagne… et l’endroit est normalement accessible en voiture.
Ce ne doit pas être là.

Je redescends à Prades pour trouver une carte au 25 000 que je trouve a 11 euros ( ?????) dans un tabac.
Je suis très nerveux.
J’ai peur de tomber sur TA mère ou Ton père.
J’ai peur de tomber sur TON frère ou Ta sœur et ses enfants.
J’enfonce ma casquette, remonte le col du blouson et visse mes lunettes de soleil.
T’es ridicule l’Ogre… il fait chaud.

Je regarde la carte où je ne trouve rien de neuf.
Pic de l’aigle… comment on dit aigle en catalan ?
Aguilà en espagnol…
Aigla ….aiglo…..
En fait c’est àliga et il n’y a rien qui ressemble à ça dans le coin.
Il y a un roc de l’agle. J’ai surement du confondre avec ça. Aigle, agle, agle aigle… oui pourquoi pas. Le problème c’est qu’il n’y a pas d’eau, ni de ruine ou de refuge autour de ce pic.
Sur la carte il y a même un coin qui s‘appelle la mort de l’homme

Il se fait tard.
Je vais repartir mais je m’énerve dans la voiture.
Je ne peux pas partir d’ici alors que je suis si près du but.
Je décide de retourner vers cet endroit qui me dit quelque chose.
Je laisse ma voiture sur le parking et commence l’ascension.
Tu marche pendant une demie heure puis si tu n’as rien trouvé tu redescends.

Il fait encore chaud.
La piste serpente et je passe d’endroits ensoleillés à des coins sombres et froids. La montagne est ciselée. J’ai l’impression de cheminer sur le dos d’un dragon. J’entends l’eau d’un torrent mais je ne vois plus le pic du Canigou couvert de neige.
Il y a une paroi rocheuse verte de mousse.
Pendant tout le trajet mon cœur est serré.
Je suis entre shinning et twin peaks.
A chaque tournant j’espère.


…. Et puis c’est là.
Le terre-plein, la baraque et les cailloux qui surplombent le vide.

J’y suis.
Au lieu de me poser et de me calmer je fais trois fois le tour de l’endroit. Je m’approche du vide.
Tu penses quoi… retrouver des cendres ?
Je crie Ton nom….. Écho. Tout est calme.
…. Sauf le bruit de l’eau.
Il faut de l’eau car dans la famille nous sommes des descendants directs des vikings et il faut que nous reposions près de l’eau.
….. Quel barge ton père !!!!!

Mon corps n’est plus serré mais très lourd.
Je me dis : « C’est ici que tu habite depuis cinq ans…. C’est ce que tu vois avec tes yeux de morts. »


Je décide de partir vite. Ce n’est qu’un premier rendez-vous. Je ne peux pas rester plus longtemps. Si je pose mon cul je ne pars plus.
Je pense à ton père, habitant la région depuis peu, qui à choisit cet endroit facile d’accès pour que ta mère puisse venir assez souvent. Elle a du mal à marcher …. L’endroit n’est plus accessible en voiture……

Ta maison c'est donc le Mas Malet à 849 mêtres d'altitude.

Le Mas Malet sur la piste forestière du Canigou.... quel rapport avec le Pic de l'aigle.... c'estq uoi ce mythe que je me suis construit seul dans ma tête??????

Je redescends.
Je n’arrête pas de me retourner.
J’attends quelque chose.
Qui ne vient pas.

J’hésite entre repartir chez ma mère par les petites routes de montagne ou par les grandes routes et les autoroutes.
Je choisis l’autoroute même si c’est plus long.

Je m’arrête sur l’aire de La Palme acheter une bouteille d’eau.
Mon esprit est fatigué. Je croise un père et son fils de trente ans.
Je suis d’un coup malade de jalousie.
Je suis jaloux de ce bonheur…. De cet « apaisement » que je n’ai pas connu.

Plus tard je me demande si il y a une relation entre le fait d’être parti a la recherche des cendres de son mec et réaliser que le père que j’ai eu (ou que je n’ai pas eu) n’est pas celui auquel j’ai rêvé.

Dur journée.
Content d’être dans mon lit.

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